Publié le 31/01/2016
Fin 2005, on dénombrait en France 279 800 personnes handicapées au chômage. Elles étaient 471 000 en 2015, dont 58 % de chômeurs de longue durée. Plusieurs raisons expliquent cette hausse.
D’abord, et c’est heureux, de plus en plus de personnes handicapées souhaitent travailler. Ensuite, certains salariés n’hésitent plus à demander la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (R.Q.T.H), parfois encouragés par leurs employeurs qui y voient aussi un moyen de remplir leur quota. Enfin, de nouveaux handicaps sont apparus sous l’effet du recul de l’âge légal de la retraite, de l’intensification des tâches et du développement de maladies chroniques comme les troubles cardiaques, le diabète ou l’insuffisance rénale. Et la tendance ne devrait guère s’inverser ! Quid dans ce cas de la prévention dans les entreprises avec la baisse programmée des effectifs de la médecine du travail ? 80 % des 7 000 praticiens en activité partiront à la retraite d’ici 2020.
Jusqu’à présent, les politiques d’insertion se sont bornées à fixer des quotas assortis de pénalités financières en cas de non-respect pour les entreprises de plus de 20 salariés. Mais ces derniers quand ils ne sont pas contournés ou dévoyés se changent souvent en alibi ou en contrainte. Pour 80 % des dirigeants et des directeurs de ressources humaines, recruter une personne handicapée constitue un « acte difficile » selon une étude réalisée par l’institut Ipsos en 2014 sur le regard que portent les entreprises sur le handicap. Les préjugés ont la vie dure.
Beaucoup de travailleurs handicapés se tournent vers les établissements de service d’aide par le travail (E.S.A.T.) ou les entreprises adaptées (E.A.). Leur mission ? Servir de tremplins pour l’entreprise ordinaire. Louables, ces efforts se heurtent à des limites qui s’apparentent à des « plafonds de verre ». Seul 1 % des salariés d’E.S.A.T. rejoignent l’entreprise ordinaire. Au lieu de les y encourager, ceux-ci ont tendance à retenir leurs travailleurs les plus productifs avec, parfois, l’accord tacite des familles.
Et quand un salarié handicapé intègre une entreprise, un autre combat commence : s’y maintenir. Grâce aux efforts de l’Agefiph, le service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (S.A.M.E.T.H.) a accompagné 18 000 salariés. C’est bien, mais trop peu par rapport aux besoins. Sur le terrain, les maisons départementales des personnes handicapées (M.D.P.H.) créées en 2005 pour servir de guichet unique semblent dépassées et concurrencées par une myriade de structures. Enfin, les entreprises adaptées tardent à s’ouvrir à des secteurs émergents comme le numérique.
Comment faire mieux ? Un préalable consiste à changer le regard que nous portons sur le handicap. C’est le pari qu’ont fait certains grands groupes. Carrefour compte 6 300 collaborateurs souffrant d’un handicap, soit un peu plus de 6 % de ses effectifs. Chez Air France, le handicap fait l’objet d’accords triennaux depuis 1991. Quant à la Foncière Gecina, elle a créé, en 2008, une fondation qui soutient des projets dans des domaines comme le handisport, l’accessibilité ou la médiation animale.
Certains, comme Didier Roche, créateur des restaurants « Dans le Noir ? », font du handicap une compétence et l’occasion de vivre une expérience différente. Les entreprises de petite taille (TPE), qui concentrent la moitié des offres d’emploi en France, comptent 120 000 travailleurs handicapés, bien qu’elles soient exonérées de quotas. Enfin, des écoles comme l’ESSEC aident les futurs cadres à modifier leur regard.
Un consensus se dégage autour de solutions plus structurelles. Parmi les plus urgentes : simplifier les structures et les compétences, encourager la formation professionnelle des travailleurs handicapés, faciliter l’accès à l’enseignement supérieur, inciter les E.S.A.T. à remplir leur mission, aider les entreprises adaptées à proposer des services dans des domaines porteurs.
La France gagnerait aussi à s’inspirer de ses voisins, en développant « l’emploi assisté ». Son principe ? Former un travailleur « sur le tas » et l’accompagner de manière durable. En Suède, 495 « job coach » encadrent chaque année 3 500 salariés handicapés durant dix-huit mois. Quant au Royaume-Uni, depuis 2010, l’Equality Act encadre l’emploi handicapé sous le seul principe de non-discrimination. Le handicap ne doit pas être un obstacle à l’emploi, mais il n’est pas non plus un argument d’embauche.
Dans la majorité des cas, l’encadrement des travailleurs handicapés ne fait pas l’objet d’un service spécifique, avec des managers chargés de l’évaluation de leurs compétences, comme pour n’importe quel autre salarié. Ces expériences et ces solutions, pas forcément plus onéreuses, ont surtout pour vertu de banaliser le handicap en substituant une logique de « compétences » à une logique de « quotas ».