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Publié le 31 mai 2016

Numérique : nouvelle fracture économique et sociale ?

Publié le 30/05/2016

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Alors que la France compte 84 % d’internautes et que sa « French Tech » se distingue par son dynamisme, notre pays se classe dans le dernier tiers des pays européens dans le domaine du développement du numérique.

En cause ? Le retard pris par les entreprises françaises dans le basculement de leurs activités sur internet. Ainsi, seuls 63 % d’entre elles disposent d’un site. Elles sont respectivement 14 % et 17 % à effectuer des ventes en ligne et à utiliser les réseaux sociaux.

Enfin, selon le baromètre Fiducial 2016, 46 % des dirigeants de TPE se disent pas ou peu concernés par la transition numérique. Comment expliquer ce retard ? Rigidités fonctionnelles, déficit de compétences, limitation des capacités d’investissement, manque d’implication des dirigeants, voire, méfiance des salariés, les raisons ne manquent pas…

Pourquoi est-ce un problème ? Parce qu’à l’ère de l’immédiateté, tout retard se paye cash. Le numérique gagne tous les secteurs, y compris les plus protégés. De nouveaux concurrents, souvent de taille mondiale, apparaissent sur les marchés locaux. Certains en profitent pour vampiriser la relation client. Une relation qui a beaucoup changé depuis dix ans. En France, en 2015, le commerce en ligne a enregistré une croissance de 14,3 %.

Aujourd’hui, le consommateur veut avoir le choix, alterner les canaux de distribution : site, application, point de vente physique. D’après le rapport « Le futur des emplois » de janvier 2016 du Forum économique mondial, la révolution numérique devrait créer 2,1 millions d’emplois en 5 ans dans les 15 grandes puissances industrielles. Mais elle devrait aussi en détruire 7,1 millions, soit un déficit de 5 millions.

Ces transformations gagnent le monde du travail. Les carrières sont moins linéaires. La frontière entre vie professionnelle et vie privée s’estompe. Dans les entreprises, le fossé se creuse entre la génération 2.0  et les autres. Les salariés les plus jeunes remettent en cause la hiérarchie traditionnelle, préférant travailler en circuit court. Ces changements, quoi qu’on en pense, posent néanmoins la question de l’égalité et du maintien des droits du salarié.

La France prendrait-elle conscience de son retard ? Le projet de loi mené par Axelle Lemaire est une avancée significative. Le gouvernement a en outre demandé au Conseil national du numérique et à son nouveau président, Mounir Mahjoubi, d’élaborer d’ici juin 2016 un plan d’action.

De son côté, le Medef a nommé en 2016 un ambassadeur du numérique, Olivier Midière. En plus de proposer un prédiagnostic pour les PME et les TPE, l’organisation patronale lance en mai 2016 le premier MOOC (Massive Open Online Course) destiné à accompagner les patrons dans leur transition numérique.

La future « Grande École du numérique » devrait former d’ici 2017, 10 000 personnes par an. En parallèle, l’école 42  de Xavier Niel, structure privée et gratuite, repère et accompagne les développeurs de demain depuis 2013. Rançon du succès : 42 ouvrira ses portes en novembre prochain du côté de Fremont en Californie. Orange vient de lancer sa « Digital Academy » et propose une formation de base à ses 170 000 salariés. Pour résister à la concurrence, les entreprises, grandes ou petites, s’adaptent.

Plusieurs stratégies coexistent. Certaines créent des filiales dédiées comme BforBank, Hello Bank ou Fortuneo pour ne citer que l’exemple de la banque. D’autres se regroupent comme les hôteliers avec Fairbooking ou les libraires dans le cadre de l’association « Paris Librairies ». Des sociétés comme Orange, Allianz et le Crédit Agricole deviennent des incubateurs pour de jeunes pousses. Enfin, grâce à sa filiale m2ocity dédiée au télé-relevé, Véolia fait évoluer son coeur de métier.

Ces transformations touchent aussi les pouvoirs publics. Dans le domaine de la modernisation digitale de l’État, la France a gagné quatre places en 2015 et se hisse au 13e rang européen, même si les gains de productivité se font attendre. De leur côté, les collectivités locales se révèlent des viviers d’innovations.

Le département des Alpes-Maritimes a ainsi installé le « Lab06 » au coeur de son centre administratif pour expérimenter les services publics de demain. En 2015, l’agglomération nantaise a lancé l’application « Nantes dans ma poche » qui regroupe 14 microservices, des horaires des cinémas aux menus des cantines. Grâce à son application d’e-navigation, le syndicat intercommunal du bassin d’Arcachon améliore la sécurité des plaisanciers.

Quoiqu’encourageantes, ces évolutions projettent une lumière crue sur des difficultés bien françaises – rigidité de l’organisation du travail, faiblesse de l’investissement, inégalité des niveaux de formation – dont les conséquences se font sentir dans d’autres domaines. Ce n’est pas d’un « grand soir numérique » dont notre pays a besoin, mais de réformes structurelles. L’enjeu ? Cesser de rattraper son retard et essayer, pour une fois, de faire la course en tête.

 

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