Le 05/08/2016
Interdiction du port du voile à l’école en 2004, du port de la burqa en 2010 : malgré les interventions du législateur, la France peine à s’accorder sur un cadre permettant une utilisation dépassionnée du foulard islamique dans l’espace public. La dernière controverse vient de la décision de grandes enseignes du prêt-à-porter, telle que H&M ou Marks and Spencer, de proposer à leurs clientes une collection de « mode islamique », faite de vêtements couvrant le corps et la tête. Les réactions du monde politique et intellectuel, de Laurence Rossignol, la ministre des droits des femmes, à la féministe Elisabeth Badinter, ont été immédiates et vives, critiquant l’irresponsabilité d’entreprises faisant la promotion de la femme voilée.
Irresponsables ? Ce qui est certain, c’est que ces enseignes n’ont pas fondé leur choix sur des critères moraux mais bien sur l’existence d’un marché et la possibilité de profits subséquents. Elles n’ont fait ainsi que répondre à une demande existante dont elles ne sont nullement à l’origine et que leurs clientes auraient de toute façon satisfaite d’une autre manière. Faut-il le déplorer ? Non, bien au contraire. La relation marchande, parfois justement critiquée, à ceci d’intéressant qu’elle permet de satisfaire les besoins des individus en s’affranchissant de tout jugement à leur égard. Que dirions-nous si les grandes marques de mode usaient à l’inverse de leur pouvoir pour tenter d’influencer les comportements individuels et les modes de vie ? Laissons-les donc libres de leurs choix commerciaux dont elles devront assumer les conséquences si ceux-ci apparaissent choquant aux yeux de leurs clients.
Mais il est vrai que le marché n’est pas toujours libre, il est parfois régulé ou même interdit. Faudrait-il réglementer le commerce d’accessoires religieux ? Le voile, c’est l’évidence même, n’est pas qu’un simple vêtement. Il exprime une croyance et véhicule une certaine image de la femme dans l’espace public. A ce titre, il n’est pas qu’une affaire de liberté individuelle mais présente une dimension politique. Il est donc parfaitement légitime de ne pas l’approuver ou de le critiquer, comme c’est le cas pour toutes les idées et toutes les croyances dans une société libre et démocratique. De là à interdire d’en faire commerce ou de l’exposer en vitrine, il s’agirait d’une entrave aux libertés dont on peut douter de la proportionnalité au regard de l’objectif poursuivi.
On ne saurait par exemple comparer cette activité commerciale avec « l’affaire du Hijab Day ». Cette initiative, lancée par des étudiants de Sciences Po, visait à faire essayer le voile à leurs camarades n’en portant pas afin de lutter contre les stéréotypes et les discriminations. On peut porter sur cet événement le jugement que l’on veut, mais il est clair qu’il s’agissait là d’une démarche de promotion et/ou de provocation, qui n’appelait pas forcément les mêmes réponses que la simple mise en vente de cet accessoire.
Pour aborder ce problème, il faut donc en revenir au principe de laïcité tel qu’exprimé par l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Le principe est celui de la liberté et les limites éventuelles sont apportées par la loi. La question fondamentale est donc la suivante : le port du voile islamique représente-t-il un trouble à l’ordre public suffisamment important pour justifier de restrictions dans son usage ou dans sa commercialisation ? C’est sur ce point que le débat est légitime, la réponse finale revenant au législateur. De la même manière qu’une loi est venu mettre de l’ordre dans l’application chaotique du principe de laïcité à l’école (La loi de 1905 était au demeurant une loi de liberté, pas une loi d’exclusion), une autre loi pourrait venir clarifier la place du voile sur le territoire de la République Française.
Une fois de plus, c’est la stratégie de l’invisibilisation qui prime. Plutôt que de s’interroger sur la persistance ou la recrudescence d’un phénomène qui les gêne, certains préféreraient qu’il ne se voit pas. Quelle hypocrisie en effet à autoriser quiconque à porter le voile si c’est pour dans le même temps reprocher à certains d’en faire commerce. Si l’on n’approuve pas le voile, on ne convaincra les femmes (les hommes) de le (faire) retirer que par l’éducation et par le dialogue, pas en attaquant inutilement ceux qui le portent, le font porter et ceux qui le vendent. Notons toutefois que c’est le propre de la tolérance que d’accepter les différences et de cohabiter en bonne intelligence avec ceux dont les opinions divergent des nôtres et peuvent même parfois nous choquer.
N’agissons pas non plus à la hâte. Lors de la création de l’ordre de la Légion d’honneur, des royalistes, pour s’en moquer, arboraient un œillet rouge à leur boutonnière. Un rapport de police fut soumis à Bonaparte qui le renvoya à Fouché avec l’annotation « prendre des mesures ». Fouché répondit: « attendre que la saison des œillets soit passée ». En matière de mode, la référence aux saisons n’est pas la plus incongrue…