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Publié le 10 octobre 2016

Les journaux à la recherche du modèle économique perdu

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Publié le 06/10/2016

2LE CERCLE/POINT DE VUE – Alors que notre société n’a jamais autant produit et consommé d’information, les médias traditionnels de presse peinent à trouver un modèle économique viable.

Depuis près de vingt ans, les médias font face à une révolution comparable à celle qui a dévasté l’industrie musicale au début du siècle : l’arrivée en France de la presse d’information gratuite, lancée avec succès par « Metro » en 2002, et celle des sites d’information en ligne tels que Slate, Rue89 et Mediapart à partir de 2006. Tout commence en 2000, quand « Libération » commet l’erreur de mettre à la disposition du public sur son site web, les articles de sa rédaction. S’ils l’imitent, les autres quotidiens nationaux se montrent dubitatifs.

Comment, en effet, continuer à faire payer l’information, si celle-ci est désormais considérée comme gratuite ? De la réponse à cette question dépend la survie d’entreprises qui, en plus de créer de la valeur et des emplois, sont au fondement de nos démocraties.

Chute des ventes et baisse des recettes publicitaires

D’après l’institut Médiamétrie, trois millions de Français regardent des programmes ailleurs que sur leur télévision, un chiffre en hausse de 50% en un an. Depuis 2013, la consommation d’information par l’intermédiaire d’un mobile a augmenté de 78% pour les smartphones et de 30% pour les tablettes. Résultat : en 2015, les ventes d’exemplaires papiers, y compris les ventes au tiers – qui représentent souvent jusqu’à 30% des ventes hors abonnement pour certains titres comme « Le Figaro », « Les Échos » ou « l’Équipe »), ont baissé de 3,8% par rapport à l’année précédente .

Une évolution qui concerne aussi la presse régionale dont le chiffre d’affaires, la diffusion et les recettes publicitaires ont respectivement baissé de 2,7%, 3,5% et 4,8%. Pire : si le marché publicitaire s’est déprécié de 1,1% en valeur, la publicité sur internet a cru de 5,9% en volume. Ces chiffres reflètent un changement de paradigme. Auparavant, les médias « poussaient » les contenus vers le public. Aujourd’hui, ils doivent l’attirer et le conduire jusqu’aux contenus, quel que soit leur support.

Aides, dons et financement participatif

S’y ajoutent de nouveaux intermédiaires, les « agrégateurs », qui jouent un rôle ambigu. Au motif d’augmenter la visibilité des médias, ils les privent d’un accès direct à leur public, tout en limitant leur liberté éditoriale et en appauvrissant leur contenu. Désormais, plusieurs modes de valorisation se superposent. Les revenus se fractionnent et s’amenuisent. Certes, l’État continue de voler au secours des plus démunis ou des plus malins, au risque de créer des distorsions de concurrence. En 2013, ses aides ont représenté 13% du chiffre d’affaires du secteur.

En plus d’être coûteuses et inefficaces, sauf à maintenir en coma artificiel des supports obsolètes au détriment de formats innovants, celles-ci fragilisent l’indépendance et la crédibilité de leurs bénéficiaires. Certains titres comme « Le Monde diplomatique », « La Croix » ou « Marianne », ont lancé des appels aux dons. D’autres, comme « Alternatives économiques », « Nice-Matin » ou « Terra Eco », se tournent vers le financement participatif. Sans garantie de survie et au risque de mourir avec leurs derniers lecteurs.

A chacun sa stratégie

Après une phase de retrait durant laquelle la principale réponse a consisté à multiplier les plans sociaux, les médias ont adopté des stratégies plus offensives. À défaut de modèle unique, des tendances communes se dégagent, à commencer par la fin du « tout gratuit ». Pour se différencier dans un monde au bord de « l’infobésité », les médias proposent des contenus de qualité, mais payants : thématique de niche, grand reportage, décryptage, voire jeux-concours liés à l’actualité.

En 2011, 180.000 internautes ont ainsi joué au jeu du « Monde », Primaires à gauche. Certains titres utilisent leur marque pour se diversifier. Le site du « Figaro » fonctionne comme un portail donnant accès à des services additionnels. « Challenges », »La Tribune » ou « Les Échos » tirent de 20% à 30% de leurs revenus de l’évènementiel. D’autres, comme « Le Monde » avec le Huffington Post, ou le « Nouvel Obs » avec Rue89, prennent des participations dans des médias numériques.

Enfin, sous l’impulsion de Patrick Drahi, la stratégie de convergence des télécoms et des médias refait surface. Les 20 millions d’abonnés de SFR peuvent télécharger gratuitement l’application SFR-Presse qui offre un accès aux titres du groupe (« Libération » et « l’Express » notamment), ainsi qu’à d’autres journaux et quotidiens. Les médias locaux ne sont pas en reste. Le groupe LVMH a investi dix millions d’euros pour relancer le « Parisien-Aujourd’hui en France ».bEn plus de concevoir une nouvelle maquette, ces investissements visent à renforcer les éditions papier et numérique des dix cahiers départementaux.

« La Voix du Nord » propose quant à elle 25 portails locaux et 1.500 hyper locaux. « La Nouvelle République » a lancé une application de géolocalisation qui permet à ses lecteurs de connaître l’actualité de l’endroit où ils se trouvent. L’édition numérique du soir d’ »Ouest-France » compte 40.000 abonnés. De leur côté, les chaînes de télévision locale ont mis en ligne en janvier 2016, une plateforme commune de vidéos.

Des orientations qui produisent des résultats. Depuis 2013, le « New York Times » compte plus d’abonnés à sa version numérique qu’à son édition papier. D’autres quotidiens comme « The Independent » au Royaume-Uni et « La Presse » au Québec ont supprimé leur édition papier. Un virage qui leur a permis de réduire leurs coûts, de rajeunir leur lectorat et de restaurer leurs marges. Comme l’édition musicale il y a quelques années, le secteur entrevoit le bout du tunnel. La question est : à qui le tour ?

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