Le défi écologique s’affirme comme un défi urbain. Si la ville produit un grand nombre des nuisances modernes – émissions de CO2, pollution de l’air, gaspillage –, elle propose également de nombreuses solutions. À la ville impersonnelle des Trente Glorieuses, qui se fonde sur la voiture, la segmentation des espaces et l’étalement succède la ville intelligente.
Une ville harmonieuse et flexible, qui se nourrit des technologies de l’information. Reste à savoir si elle constitue un objectif réaliste, un effet de mode ou un mirage. D’après l’ONU, en 2050, les trois quarts de la population mondiale vivront en ville contre 55 % aujourd’hui. Cela représente une croissance de 2,5 milliards d’individus, soit l’équivalent de la création de 70 villes d’un million d’habitants par an. Les mégalopoles consomment trois quarts de l’énergie mondiale et rejettent 80 % du CO2 d’origine fossile. Si la découverte de nouveaux gisements a modéré la « peur du manque », la pression politique et populaire ainsi que la hausse des coûts énergétiques ont conduit les villes à revoir leur modèle.
D’autant que de nouvelles technologies – cellules photovoltaïques à haut rendement, centrales thermiques couplées solaire-biomasse, installation d’éoliennes dans la structure des immeubles – permettent aux collectivités de rééquilibrer leur mix énergétique. La révolution des NTIC fait de la ville sobre une ville intelligente, dont le champ d’action concerne non seulement l’énergie, mais également l’aménagement, les transports, la gestion de l’eau et des déchets, le mobilier urbain, la gouvernance.
Ce rêve d’une ville qui s’adapte aux besoins de tous se heurte encore à des obstacles. Le premier est financier et concerne la durée qui sépare la mise au point d’une innovation dans le domaine énergétique et sa commercialisation. Une durée qui bien souvent refroidit les investisseurs privés et oblige les pouvoirs publics à prendre en charge une grande partie de l’effort de R&D. Quelques philanthropes se mobilisent à l’image de Bill Gates qui a réuni, dans la Breakthrought Energy Coalition, des financiers capables de s’abstraire d’une exigence de rentabilité à court terme. Leur but ? Permettre à des start-ups énergétiques de franchir ce que les professionnels du capital-risque surnomment « La vallée de la mort ».
Un deuxième obstacle concerne l’utilisation du Big data, ces données que produisent les services publics, les entreprises et les particuliers, et qui représentent la « matière grise » de la ville intelligente. Le 2 juillet 2016, deux décrets d’application de la loi de Transition énergétique pour la croissance verte ont encadré la mise à disposition des données de consommation énergétique aux collectivités. Certaines entreprises rechignent à les livrer pour des raisons de concurrence. Des particuliers y voient une intrusion dans leur quotidien. D’une manière générale se pose la question de la propriété de ces informations à la limite du domaine public et de la vie privée. Enfin, l’inertie du patrimoine immobilier dont le taux annuel de renouvellement plafonne à 1 % freine le développement des bâtiments intelligents.
Malgré tout, suivant l’exemple de villes européennes exemplaires comme Francfort et Barcelone, les villes françaises innovent et se transforment en laboratoires. Dans le cadre de l’opération d’aménagement « Euratlantique », Bordeaux lance la construction de deux tours d’habitation, en majorité en bois. Fin 2015, la métropole de Toulouse a adopté un schéma directeur Smart City qui prévoit 500 millions d’euros d’investissement sur cinq ans dans 15 chantiers prioritaires. La ville de Carmaux produit 1,2 million de kWh grâce à l’installation de panneaux solaires sur 6 600 m² de toits de bâtiments communaux. À Annonay, une microturbine placée dans les canalisations d’eau potable produira bientôt de l’électricité. Lyon Confluence a été reconnu en 2016 comme un des premiers quartiers européens pour l’efficience énergétique. En décembre dernier, Reims a inauguré la chaufferie biomasse Rema’Vert qui alimentera en chaleur, un futur éco-quartier.
Certains regretteront peut-être le manque de cohérence au niveau national de ces projets ainsi que leur forte concentration dans les grandes villes. D’autres déploreront que l’attention médiatique se porte en priorité sur l’ubérisation de l’économie au détriment d’autres révolutions numériques, plus techniques, mais fondamentales. En attendant, la ville intelligente propose un modèle urbain qui réconcilie bien-être et efficience.
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