Publié le 13/04/17
L’incivisme, pour certains rejeton de l’individualisme, pour d’autres conséquence des coupes budgétaires, semble exprimer un manque d’intérêt général.
Simple ressenti ou tendance de fond, l’incivisme défraie la chronique, alimente le déclinisme et s’impose comme un sujet de société. De quoi est-il le symptôme ? Quels en seraient les remèdes ? Marque-t-il la mort de l’intérêt général ?
Prélèvement sauvage
L’incivisme varie d’une catégorie sociale voire d’un pays à l’autre. Il évolue aussi dans le temps. Avant 2008 et une loi, fumer dans les lieux publics ne choquait personne. Il recouvre surtout des comportements d’une nature très différente, de l’abus de droit social à la fraude, en passant par des insultes et des dégradations en tous genres.
Certains relèvent du Code pénal, d’autres du manque de savoir-vivre ou du « sans-gêne ». De nouvelles formes apparaissent, comme l’incivisme numérique : publication de photos dégradantes, courriels insultants, dénigrement sur les réseaux sociaux. Des faits qui se répètent et exercent une pression permanente sur les individus.
Et puis, l’incivisme coûte cher : 80 millions d’euros à Paris si l’on additionne les dépenses liées au recrutement de personnels supplémentaires, à la réparation du mobilier urbain, au nettoyage des trottoirs et des murs.
Dans un rapport (PDF) la Cour des comptes estime que les pertes liées à la fraude représentent un manque à gagner de 191 millions d’euros pour la RATP et la SNCF. Des coûts auxquels il convient d’ajouter ceux des dispositifs de lutte contre la fraude. Dans leur ouvrage « La société de défiance », les économistes Yann Algan et Pierre Cahuc comparent l’incivilité à une « taxe sociale », sorte de prélèvement sauvage sur la collectivité.
D’où les incivilités prennent-elles leur source ?
Des sociologues, citant Tocqueville, pointent le triomphe de l’individualisme, la victoire de l’égoïsme social, du chacun pour soi. Certains soulignent le défi que représente le multiculturalisme : de nouvelles populations doivent s’adapter très vite à des moeurs établies, parfois très éloignées de leur culture d’origine. La ségrégation dont elles font l’objet ne facilite par leur intégration.
D’autres voient dans l’incivisme la conséquence de coupes budgétaires successives dans le secteur public comme privé. Des métiers comme les gardiens d’immeubles et de square ou, en milieu rural, les gardes champêtres, disparaissent.
Dans certains services publics, la consigne de respecter une durée maximale de réponse aux questions des clients ou usagers suscite des frustrations. Enfin, les citoyens ont parfois tendance à considérer l’espace public comme un bien de consommation.
Plusieurs méthodes face aux incivilités
Les campagnes de sensibilisation ont une efficacité relative. À la RATP, si les plaintes ont baissé de 6 % entre 2012 et 2015, 85 % des usagers se déclarent malgré tout très gênés par les incivilités. À l’inverse, le recours excessif à la loi laisse perplexe. En plus d’encombrer les tribunaux et de décrédibiliser le pouvoir législatif, que penser d’une société qui gouvernerait les rapports humains par la seule peur du gendarme ?
Sur le terrain, collectivités et services publics haussent le ton. De nouvelles méthodes font leur apparition : applications de « signalement », caméras boutonnières, brigades d’intervention à Paris, recours aux travaux d’intérêt général.
Certaines communes, comme Cannes, ont conçu de véritables plans de bataille, qui traitent toutes les nuisances de manière systématique. Chaque jour, la police municipale inspecte une des neuf zones de la ville et contrôle aussi bien le respect des terrasses que la propreté, la qualité de la voirie ou l’état du mobilier urbain.
Grâce à l’installation de plus de 500 caméras, les forces de l’ordre ont mené depuis 2014, 2.310 interventions pour sanctionner des décharges sauvages et des jets de détritus. En 2016, la ville a fait condamner 65 personnes à des travaux d’intérêt général. Mais comme le reconnaît le maire David Lisnard (Les Républicains), « la lutte contre l’incivisme est une étape qui doit ensuite conduire au renouveau civique et à la création d’un sentiment d’appartenance ».
Réinventer la notion d’intérêt général
Mais comment « conduire au renouveau civique » et « à la création d’un sentiment d’appartenance » ? En réinventant la notion d’intérêt général, toujours vivace. Seize millions de Français s’investissent dans des associations.
Selon une étude Viavoice-Klésia de 2016, 78 % des citoyens estiment que les décisions publiques ne tiennent pas assez compte de l’intérêt général, 58 % d’entre eux souhaitent être plus impliqués dans des actions utiles à celui-ci.
Les regards se tournent vers la politique, seul espace de conciliation entre les intérêts particuliers. De nouveaux mouvements voient le jour, même s’ils peinent à s’imposer. Des applications pour smartphone encouragent la participation citoyenne.
De nombreux responsables ont conscience qu’il faut remettre à plat le statut de l’élu pour rendre celui-ci à la fois plus indépendant, plus professionnel et plus fidèle à l’image de la société. L’incivisme semble exprimer un manque voire un besoin d’intérêt général, non sa disparition.