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Publié le 10 octobre 2017

Quel avenir pour le syndicalisme ?

Publie le 10/10/2017

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7La dynamique schumpétérienne de destruction créatrice s’est prodigieusement accélérée. C’est une des nombreuses conséquences de la révolution numérique, révolution d’une rapidité et d’une ampleur encore inimaginables il y a quelques années.

De ce cycle d’innovation/substitution découle la nécessité que les emplois évoluent de plus en plus rapidement pour s’adapter aux nouvelles demandes du marché du travail. Les adaptations ne peuvent plus se faire au rythme de la vie humaine et de la succession des générations et chacun doit s’attendre à être touché, le cas échéant plusieurs fois dans sa vie.

Cette prise de conscience, douloureuse, se fait peu à peu dans l’opinion. Dans le même temps, la mondialisation des échanges entraîne de nouvelles concurrences que les distorsions de législations sociales et environnementales peuvent parfois rendre insupportables : dumping social avec délocalisations à la clé, menaces pour le consommateur…

Si le premier mouvement appelle des politiques d’accompagnement au plan national en matière de formation et de protection sociale, le second doit être maîtrisé au moyen d’accords commerciaux lucides et équilibrés et, le cas échéant, de règlementations empêchant les abus. Ces logiques sont différentes, mais leur objet est, partiellement, le même : la préservation et la création d’emplois sains sur le territoire. Sans chercher, en désespoir de cause, à vouloir remettre en cause une mondialisation dont les bénéfices surpassent encore largement les coûts, il s’agit bien d’agir pour limiter ces derniers. Or, dans ce domaine, des confusions sont à craindre.

Beaucoup de combats pour la préservation des emplois ont pu être menés, de plus ou moins bonne foi, pour demander des mesures « protectionnistes » en lieu et place des mesures d’adaptations nécessaires. C’est la voie de la facilité. Mais agir ainsi n’est pas seulement une erreur de diagnostic, c’est aussi prendre le risque d’aggraver le mal en différant la prise des vraies solutions.

On commence à assister à une prise de conscience du monde syndical français, qui abandonne peu à peu certains de ses combats les plus anciens, hérités d’un capitalisme industriel qui disparaît, pour les remplacer par de nouveaux combats plus adaptés, centrés sur la protection du travailleur. Cela demande, au demeurant, courage et pédagogie, l’échec récent de Bernard Thibaut à faire évoluer la CGT le montre.

Cette évolution du syndicalisme français est évidemment positive du point de vue de la société dans son ensemble. Il est urgent, au risque d’entraîner de nouvelles crises sociales et politiques, de ne pas freiner les évolutions indispensables à la bonne santé de l’économie française. Les bonnes performances électorales du FN peuvent avoir une influence, personne ne souhaitant provoquer une crise de régime qui n’aurait sans doute pas pour bénéficiaire les droits des travailleurs.

Mais ce changement de paradigme est aussi bénéfique du point de vue des syndicats eux-mêmes. Dès lors que l’adaptation des emplois à la nouvelle économie est inéluctable, il convient pour eux d’adapter leurs modalités d’intervention s’ils veulent garder leur « valeur ajoutée« , et ne pas seulement mener de coûteux combats de retardement.

Dans cette perspective, on ne peut se contenter de régler les situations aux échelons national, de la branche ou de l’entreprise. C’est la fluidité qu’il convient d’organiser et c’est là le nouveau champ d’action qui s’ouvre aux syndicats, où ils sont et seront indispensables. C’est ce qu’a compris la CFDT dès la négociation de la loi El Khomri, et ce à quoi FO s’est rallié avec les nouvelles ordonnances relatives au droit du travail. La position jusqu’au-boutiste de la CGT, à terme, lui portera certainement préjudice.

Il reste que si ce changement de perspectives peut-être favorable à une influence syndicale durable, encore faut-il que les syndicats soient en mesure de le « porter » devant leurs mandants. Cela suppose en contrepartie des concessions gouvernementales et patronales réelles (augmentation des indemnités de licenciement, véritable investissement dans la formation…).

À cet égard, la fusion des instances représentatives du personnel devrait logiquement entraîner une diminution considérable du nombre d’heures de décharge syndicale ce qui représenterait un « coût » insupportable pour les syndicats si une compensation satisfaisante ne leur est pas proposée.

Ce ne semble pas être actuellement le cas, et peut-être n’est-ce pas sans rapport avec les difficultés que rencontre par exemple Jean-Claude Mailly. On peut exiger des syndicats des positions plus constructives, encore faut-il aussi respecter leur rôle essentiel, même dans l’économie du XXIe siècle.

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