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Publié le 24 février 2018

La peur de passer à côté de quelque chose, voila comment les réseaux sociaux vous rendent accro

Publié le 24/02/2018

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Qui, sur son lit de mort, confessera: « j’aurais aimé passer plus de temps sur Facebook »?

26,6! C’est le nombre de fois par jour que les Français consultent, en moyenne, leur smartphone. Selon le rapport 2015 de l’agence Wearesocial, l’humanité consomme en moyenne plus de 2h30 quotidiennement sur les réseaux sociaux. Un like par-ci, un tweet par-là et nous sommes de plus en plus connectés aux nouvelles technologies. Or, les pop-up, alertes et SMS perturberaient, par leurs interférences virtuelles, notre plasticité neuronale. Cognition, perception, décision, toutes nos relations s’en trouvent altérées. Surfer sur Facebook en oubliant ce qu’on est venu y chercher ou scroller sur Twitter pour s’assurer qu’aucune notification de nos pairs ne nous a échappée… telle serait la maladie du siècle, nommée FOMO. Cette « Fear Of Missing Out » se traduit par la peur irrationnelle de passer à côté de quelque chose. Les échos virtuels prennent alors le pas sur notre réalité dont ils sont l’émanation. Etant donné que nous avons de plus en plus d’informations sur ce qu’il se passe sur notre réseau, difficile de ne pas succomber à la tentation de « s’abonner à ce flux » qui nous rend addictif ! Car plus on en est privé, plus on est en manque. Le réel, ainsi augmenté par le virtuel, finit par être parasité et entraîné alors une distorsion de la réalité. Ce syndrome en a rendu certains accros, au point d’avouer préférer passer une nuit en prison plutôt que de fermer leur compte Facebook!

Digital detox ou detox appli?

Pour s’en prémunir, d’autres ont essayé la dernière des cures en vogue : la « digital detox ». Smartphone, TV, Wifi « free »… aux thermes de Vichy ou dans un 5 étoiles à Dublin, vous pouvez désormais guérir votre cybersickness grâce à l’interdiction de toute technologie. Mais, on peut douter de ce sevrage, à long terme, car après la cure, il faudra bien vous reconnecter à votre boite mail et donc au numérique. Certains optent alors pour les « detox appli », ces applications sur smartphones qui vous invitent à diminuer votre consommation numérique. Cette tendance a d’ailleurs déjà un nom : le « phubbing » (contraction de « phone » et « snubbing » soit « snober »). Mais encore une fois, on peut se méfier de ces désintoxications qui prétendent sevrer des drogues numériques paradoxalement par le numérique-même ! L’hyperconnexion ayant créé des « êtres réseaux » n’ayant d’yeux que pour le regard des autres, jusqu’à se dissoudre eux-mêmes de l’intérieur, il s’agirait peut-être tout simplement de (re)prendre le « contrôle sur soi. » Or, si vous n’êtes pas relié à tout instant, vous prenez le risque d’être exclu socialement, professionnellement, économiquement. Certains citoyens vont alors jusqu’à réclamer un « droit à la déconnexion ». Pour se désintoxiquer, l’alternative réelle résiderait-elle dans ce que la religion nommait l’excommunication ?

De l’Homo Sapiens à l’Homo Deus

Dans l’œil de Ready Player One de Spielberg, imaginez un parterre – ou un enfer – de facebookiens, sous casque Oculus, si loin, si proches, si seuls ensemble, vivant l’irréel; est-ce donc déjà réel? Assez pour qu’IBM, lors de sa conférence prospective « Quels mondes pour demain? », s’interroge sur l’avenir d’une e-religion. Si originellement la religion (religere) permet de se relier, la Réalité Virtuelle sera-t-elle notre nouveau lien, notre nouvelle religion? Baptisée « Way of the Future » (La voie de l’avenir), cette « religion 3.0 », a déjà été fondée en 2015 aux États-Unis par le célèbre ingénieur A. Levandowski. Devin d’une « divinité » fondée sur l’Intelligence Artificielle, il prétend qu’en inventant le virtuel, l’homme s’est réellement fait Dieu et promeut « la prise de conscience humaine d’une religion digitale » pour que tous les hommes, partout, tout le temps, puissent se relier, virtuellement. Comme lui, les messies de la Silicon Valley prophétisent ainsi la fin des guerres de religions. Car si la Réalité Virtuelle devient religion, elle transcendera toute confession, ayant pour mission de relier virtuellement toute l’humanité. Même si nous serons tous reliés, quelle quête de sens nous liera ?

 Une nouvelle religion: le « dataisme »

Alors que depuis des milliers d’années, l’autorité divine dicte les lois humaines, les géants Web prédisent que l’autorité des data décidera dorénavant de notre liberté. Car dès qu’un humain surfe sur le web, il « donne ses données », d’emblée traitées par des algorithmes, à même de reproduire et produire notre libre-arbitre. Cette nouvelle religion, ne croyant plus ni en Dieu, ni même en l’homme, mais aux (big) data, se nomme le « Dataisme ». De Dieu à Darwin, l’ère de Turing perçoit désormais l’univers tout entier tel un flot, un flux de données biométriques à même de comprendre l’être humain mieux qu’il ne se comprend lui-même. Et c’est pour combler le vide spirituel du virtuel, que le Dataisme entend créer religieusement un « système universel de traitement de ces données ».

La captologie, notre nouvelle Bible?

« Mon Dieu, qu’est-ce qu’on a fait? » réalisent depuis d’anciens dieux du Web, pris d’états d’âme. Ces ex-employés, se repentant de leurs inventions digitales dénoncent dans le Time Well Spent l’addiction et la manipulation de la « captologie », cette science des technologies persuasives, devenue, chez les concepteurs numériques, une véritable Bible. Enseignée au prestigieux Stanford Persuasive Lab, l’objectif de cette économie de l’attention consiste à créer des interfaces qui incitent l’utilisateur à y revenir, sans cesse, via d’incessantes notifications, voire « récompenses ». Facebook monnaye ainsi nos données personnelles, via les annonceurs, en nous récompensant de « like » et « services » tandis que YouTube nous impose des publicités pour avoir le privilège de visionner tout contenu.

Vers une éthique numérique…

Victimes volontaires, nous ne sommes donc pas les seuls responsables de notre perte (de liens), de cette e-religion. Les Gafam, ces titans du web, vont-ils ainsi devenir nos nouveaux dieux? Paradoxalement ces mêmes e-dieux (les dirigeants de Google, Yahoo! ou encore Apple, à l’instar de son créateur Steve Jobs), « témoins des dangers de la technologie », interdisent les écrans à leurs enfants, les plaçant même dans des écoles anti-technologie. Après la « Privacy by design » qui tend, depuis 1995, à protéger la vie privée des utilisateurs, l' »Ethics by design », cette nouvelle éthique du numérique enseigné à Stanford mais aussi à l’ENS Lyon, sera-t-elle à même de réguler la façon dont pensent, agissent et interagissent plus d’un milliard d’individu ? Car qui, sur son lit de mort, confessera : « j’aurais aimé passer plus de temps sur Facebook »!

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