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Publié le 27 août 2018

Il faut en finir avec ces 2 contre-vérités pour réussir une gestion apaisée de la crise des migrants

Publié le 29/07/2018

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La France est divisée entre sa volonté d’accueil des populations vulnérables et son appréhension vis-à-vis du phénomène et des problèmes d’intégration qu’il suscite.

Trois ans après la crise aiguë de 2015 qui avait vu des centaines de milliers de réfugiés prendre la route de l’Europe au péril de leur vie, le problème migratoire n’est toujours pas résolu. Il agit comme un révélateur des faiblesses d’un continent et de ses crispations, drame humain qui pourrait se muer en drame politique si aucune solution commune n’est trouvée à l’échelle européenne. La France, à l’image de ses voisins, reste profondément divisée, partagée entre sa volonté d’accueil des populations les plus vulnérables et une certaine forme d’appréhension vis-à-vis du phénomène migratoire et des problèmes d’intégration qu’il suscite.

Le débat pourrait être bien plus apaisé qu’il ne l’est si il était débarrassé de quelques contre-vérités. La première est que l’immigration zéro est une option pour la France. En réalité, la majeure partie de celle-ci découle de nos obligations internationales, que ce soit au titre du droit d’asile ou du regroupement familial, ou consiste en l’octroi de titres de séjours en faveur d’étudiants. A moins de bafouer les droits fondamentaux qui la constituent ou de renoncer à attirer les jeunes talents sur son territoire, la France ne dispose donc que d’une marge de manœuvre limitée.

La deuxième contre-vérité est que nous serions confrontés à une « submersion » migratoire, alors même que les flux en Europe se sont considérablement taris et que le solde migratoire français reste assez stable d’année en année. Cela ne dispense pas d’agir. La France doit moderniser son système d’accueil aujourd’hui en tension, mais cela devrait inviter au moins à un peu plus de sérénité.

Le gouvernement évolue sur une corde raide, en tentant, fidèle au « en même temps » présidentiel, de concilier humanisme pour les demandeurs d’asile et fermeté pour les autres, s’exposant ainsi aux critiques sur deux flancs.

Le gouvernement évolue sur une corde raide, en tentant, fidèle au « en même temps » présidentiel, de concilier humanisme pour les demandeurs d’asile et fermeté pour les autres, s’exposant ainsi aux critiques sur deux flancs. Liberticide pour les uns et trop laxiste pour d’autres, le projet de loi sur l’asile et l’immigration continue son parcours législatif compliqué.

Les CRA sont saturés et souffrent de sous-investissement, alors même que leur rôle va être amené à se renforcer. Les autorités peinent d’ailleurs à effectivement renvoyer les migrants devant quitter le territoire, ce qui dépend souvent du bon vouloir des pays d’origine qui n’ont pas forcément intérêt à récupérer leurs ressortissants. Les préfectures et la justice administrative sont également débordées.

Plus que de nouveaux outils juridiques, c’est avant tout de moyens dont l’administration a besoin.

A la Cour nationale du droit d’asile, qui examine les recours des personnes déboutées par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), les rapporteurs traitent en moyenne 325 dossiers par an. L’hébergement reste quant à lui toujours aussi problématique, comme en témoigne la situation inacceptable des campements parisiens. Plus que de nouveaux outils juridiques, c’est avant tout de moyens dont l’administration a besoin.

Cela est d’autant plus vrai pour le système d’intégration français, dont les résultats demeurent encore insuffisants. Si la nouvelle loi est adoptée, les demandeurs d’asile pourront commencer à travailler six mois après le dépôt de leur demande contre neuf aujourd’hui, une amélioration certaine. Mais encore faut-il qu’ils aient une maîtrise suffisante de la langue – difficile aujourd’hui avec les seulement 200 heures qui leur sont accordées – ou qu’une formation professionnelle leur soit proposée. D’ailleurs, quand bien même disposeraient-ils d’une qualification préalable, celle-ci n’est le plus souvent pas reconnue. C’est ce qui explique que la France connaisse un taux d’insertion des primo-arrivants particulièrement faible, qui lui ferait perdre chaque année près de 0,6 point de PIB!

Le règlement de Dublin est mort car il laisse les pays frontaliers seuls en première ligne, une certaine forme de solidarité entre les États membres restant la seule manière de sortir par le haut de cette crise.

Au-delà des enjeux locaux, une réponse européenne est de toute façon l’unique manière de répondre durablement au défi migratoire. Le règlement de Dublin est mort car il laisse les pays frontaliers seuls en première ligne, une certaine forme de solidarité entre les États membres restant la seule manière de sortir par le haut de cette crise. La gestion en amont des demandes d’asile et l’harmonisation des procédures entre Etats semblent également des pistes prometteuses pour mettre fin aux trafics et à l’exploitation de la misère humaine. Malheureusement, la conclusion d’un accord pérenne n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Pour reprendre l’expression consacrée, il n’est évidemment pas question d’accueillir toute la misère du monde, mais simplement d’atteindre l’équilibre entre la défense de nos principes et de notre culture de l’accueil et la maîtrise d’un phénomène qui peut être déstabilisant s’il n’est pas correctement appréhendé. C’est ce point d’équilibre qui reste à trouver.

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