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Publié le 27 août 2018

Pourquoi la loi bioéthique devrait autant marquer le quinquennat d’Emmanuel Macron

Publié le 26/08/2018

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Permettre à la science d’avancer sans remettre en cause les principes qui fondent notre humanité commune, telle est la difficile tâche de cette révision des lois de bioéthique…

Existe-t-il des limites à la science? À mesure que les connaissances et les techniques progressent, la question se pose de savoir si tout ce qui est scientifiquement possible est nécessairement désirable. C’est à cette interrogation que tentent de répondre en France les lois de bioéthique, révisées tous les sept ans. Après des états généraux tenus sur l’ensemble du territoire et un avis du Comité Consultatif National d’Ethique, ce sera au législateur de trancher et d’adopter une nouvelle loi début 2019. Et les sujets sensibles ne manquent pas. Neuf thèmes susceptibles de donner lieu à des modifications ont été identifiés par le CCNE, parmi lesquels se trouvent la recherche sur l’embryon, la génétique, le don d’organes, les données de santé, l’intelligence artificielle, la procréation ou la prise en charge de la fin de vie.

La bioéthique française s’est construite autour de grands principes – dignité de la personne humaine et protection de l’espèce, indisponibilité du corps humain – qui fixent des limites intangibles au progrès scientifique. Certains jugent cette approche inefficace et militent pour que plus de souplesse soit donnée au monde scientifique et pour une appréciation au cas par cas des situations les plus épineuses. C’est le cas de Jean-Louis Touraine, professeur de médecine et député La République en Marche, qui considère que la véritable limite devrait se trouver non pas dans une règle définitive ou universelle, mais là où l’on ne maîtrise plus la technique. La discussion promet d’être âpre.

Mais au-delà de ces questions philosophiques très lourdes, la prochaine loi va devoir trancher dans le vif certains débats houleux, à commencer peut-être par celui, explosif, de la procréation. Emmanuel Macron voit d’un œil favorable l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes homosexuelles en couple ou célibataires, ce qui ferait sortir cette technique de son rôle médical – pallier une infertilité – pour lui donner un rôle sociétal, permettant à des femmes d’avoir un enfant sans recourir à une méthode « naturelle ». Est-ce le rôle de la médecine? En elle-même, la PMA est pourtant moins controversée que la gestation pour autrui (GPA), qui implique le renoncement de la mère porteuse à son enfant et la mise à disposition de son corps pour une autre. De toute façon, le gouvernement ne semble pas disposé à faire évoluer la loi sur ce dernier point, même si d’aucuns considèrent qu’une libéralisation de la PMA entraînerait forcément la GPA dans son sillage.

Sur ces interrogations, la France doit faire face à des pressions qui illustrent bien la difficulté de réglementer les questions de bioéthique à l’échelle nationale. Que valent l’interdiction de la GPA et la restriction de la PMA quand celles-ci peuvent être réalisées en dehors du territoire? Il n’est pas difficile pour une femme de passer par un donneur étranger et pour un couple de recourir à une mère porteuse, même si cela reste très onéreux. Dans ce dernier cas, les droits fondamentaux de l’enfant, tels que reconnus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, imposent d’ailleurs que la France transcrive dans ses registres les actes de naissance d’enfants nés par GPA, reconnaissant ainsi une pratique interdite sur son sol.

Permettre à la science d’avancer sans remettre en cause les principes qui fondent notre humanité commune, telle est la difficile tâche de cette révision des lois de bioéthique et de celles qui lui succéderont. Ce chantier n’était peut-être pas le plus attendu, mais il marquera sans aucun doute le quinquennat d’Emmanuel Macron. Reste à voir si le Président, accusé par certains d’avoir négligé son aile progressiste, se saisira de l’occasion pour satisfaire de nouvelles demandes sociétales ou préférera le statu quo.

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