Peu d’innovations suscitent autant de crainte que la reconnaissance faciale, qui ravive le spectre dystopique de la surveillance généralisée. Avancée technologique aux multiples applications, elle pose de profondes questions éthiques, pour l’intégrité de l’individu et son autonomie vis-à-vis des autorités politiques et économiques.
Le marché est en pleine expansion, avec des usages nombreux et variés. On se sert déjà de son visage pour déverrouiller son smartphone et, demain peut-être, pour payer en ligne. La reconnaissance faciale permet aussi de passer le contrôle d’identité dans les aéroports. Certains rêvent même de l’utiliser pour identifier des individus en temps réel dans une foule et déjouer par avance des attentats terroristes.
Ces derniers exemples permettent de mieux cerner les différences fondamentales qui existent entre l’authentification et l’identification. Il s’agit dans le premier cas de vérifier l’identité de quelqu’un lors d’une opération, en utilisant par exemple la photo de son passeport. Utilisée avec les garde-fous nécessaires, une telle application suscite des problèmes limités et pourrait grandement contribuer à la lutte contre la fraude et l’usurpation. Dans le second cas, on cherche à retrouver l’identité d’une personne dont le visage a été capté, souvent sans son accord. C’est ici que les risques d’atteinte aux libertés fondamentales sont les plus grands.
La France dispose d’un cadre juridique rigide, mais paradoxalement pas suffisamment protecteur. Faute d’une vision claire, les expérimentations se multiplient de manière disparate. Plutôt que d’une politique des petits pas et du fait accompli, il est nécessaire d’engager un vrai débat démocratique et une réflexion philosophique d’ampleur. Le visage est ce que l’individu a de plus précieux et son utilisation n’est pas anodine. Attention, comme le dit l’anthropologue David Le Breton, au « fantasme de maîtrise qui occulte la complexité de la condition humaine ».
On pourra se rassurer en relevant que la technologie est loin d’être aboutie. La machine connaît encore des difficultés pour assimiler les changements quotidiens de notre visage : barbe, lunettes ou maquillage. Circuler incognito a encore de beaux jours devant lui, mais cela ne nous dispense pas de poser sereinement les termes du débat afin de faire le meilleur usage de cette technologie naissante, inquiétante oui, mais aussi prometteuse.