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Publié le 11 décembre 2020

Pour une refonte du soutien public à la culture

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La crise du Covid-19 est l’occasion unique de réorienter le soutien des pouvoirs publics au secteur de la culture, écrit Jean-Michel Arnaud, vice-président de Publicis Consultants. Peut-être faudrait-il mieux cibler les petits acteurs et les territoires – plutôt que les grosses manifestations culturelles – qui font «le tissu vivant de la culture».

Synonyme de création et de partage, la culture est durement frappée par la crise sanitaire et les restrictions qui l’accompagnent. Celles-ci semblent malheureusement parties pour durer. Fermetures, annulations, jauges réduites : le monde du spectacle est parmi les plus touchés, avec une perte de chiffre d’affaires estimée à 72 % en 2020, soit 4,2 milliards d’euros. Alors que les Français ont dans leur grande majorité repris leur activité professionnelle, scolaire, ou étudiante, les acteurs de la culture restent dans l’attente.

Conscient du danger qui guette un secteur déjà fragile, l’Etat n’a pas manqué d’apporter son soutien. Aux deux milliards d’euros d’aides directes viennent s’ajouter trois milliards provenant des dispositifs généraux de soutien à l’économie(activité partielle, exonérations de charges, etc.). Cette aide est une bouffée d’oxygène indispensable. Mais le temps ne serait-il pas venu, à l’aune de cette crise, de réfléchir à une autre politique culturelle ?

La culture, dont la valeur va bien au-delà de son caractère marchand, n’est pas un domaine comme les autres. La sévérité du choc provoqué par la crise, ressenti par tous, ne saurait masquer les très fortes différence et inégalités qui marquent le secteur, entre grands et petits, associations et entreprises. L’offre culturelle n’étant pas fondée sur un besoin préétabli, il est toujours possible que celle-ci ne trouve pas son public, entraînant alors un phénomène d’hyper-offre. A l’arrivée, seul un petit groupe d’acteurs capte la majeure partie de la valeur. La puissance publique a donc un rôle à jouer pour sauvegarder la diversité du secteur et permettre l’accès du plus grand nombre à la culture, au risque parfois de se mêler de choix esthétiques ou éditoriaux, dont la teneur politique n’est jamais loin.

Malheureusement, le soutien des pouvoirs publics semble renforcer ces travers plutôt que les corriger. L’argent public bénéficie d’abord aux opérateurs et évènements culturels emblématiques, au détriment de certaines formes d’expression artistique et d’acteurs plus petits. L’octroi de labels procède d’une même logique et favorise le cloisonnement du secteur. A cela s’ajoute la tendance à diriger les financements vers une certaine forme de patrimoine, nourrissant ainsi la critique d’une culture d’Etat élitiste qui s’opposerait à une culture plus populaire. Les collectivités, quant à elles, soutien indispensable du secteur, privilégient parfois une logique concurrentielle d’attractivité et de développement de leur territoire qui vient renforcer les déséquilibres existants.

Ce moment trouble offre donc la possibilité, peut-être unique, de faire repartir le secteur sur de nouvelles bases en réorientant le soutien des pouvoirs publics. Il est essentiel de sortir de la logique de silos pour plutôt renforcer les liens entre les différents acteurs et favoriser les projets transversaux. La mutualisation doit être promue, que ce soit sous la forme de groupements d’employeurs, de coopératives ou de lieux culturels partagés.

Du côté des financements, certains plaident pour une plus forte redistribution des résultats du secteur, qui reste pour le moment assez modeste. Les collectivités doivent aussi évoluer, en ne cherchant plus seulement à attirer dans leurs filets les plus grosses manifestations culturelles mais en cultivant une certaine forme d’enracinement des pratiques. L’enjeu est moins le montant des aides que la bonne échelle pour leur allocation : mieux cibler les petits acteurs et territoires qui font le tissu vivant de la culture.

Dans ce dialogue entre l’Etat et le monde de la culture, le public est encore trop souvent négligé, malgré sans rôle clé. Premier concerné, il peine à trouver sa place dans les discussions, alors que tant de personnes restent éloignées de l’offre culturelle et que les inégalités en la matière demeurent profondes. Pour y remédier, le professeur, Jean-Michel Tobelem propose par exemple de faire entrer dans les organes de gouvernance des institutions des représentants des habitants. Le Pass culture, projet phare d’Emmanuel Macron, qui met à disposition des jeunes de 18 ans un crédit de 500 euros à dépenser librement au sein d’un large catalogue, est aussi un pas dans la bonne direction. Il semble malheureusement souffrir de difficultés qui menacent sa généralisation. Quoi qu’il en advienne, il sera capital, à côté du soutien plus traditionnel à l’offre culturelle, de ne pas négliger l’accompagnement de la demande, notamment chez les plus jeunes et les plus démunis.

A force de mettre en avant son caractère exceptionnel, on en viendrait à oublier que la culture est aussi une activité économique, et, qu’à ce titre, il est permis de s’interroger sur l’efficacité du soutien qui lui est attribué et la meilleure manière de le faire évoluer.

A faire de la culture un totem, on prend le risque de la transformer en tabou.

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