OPINION. La crise sanitaire et ses confinements ont inscrit durablement le recours au télétravail dans le monde de l’entreprise. Cette pratique a ses avantages et ses inconvénients. D’où la nécessité de trouver un subtil équilibre dans ce nouveau rapport au travail. (*) Par Jean-Michel Arnaud, vice-Président de Publicis Consultants.
Une période particulièrement éprouvante s’achève pour le monde de la culture. Les progrès de la vaccination permettent d’envisager l’avenir plus sereinement mais ne sauraient faire oublier que la fréquentation est encore loin d’avoir retrouvé les niveaux pré-crise. Le secteur reste convalescent. Aux longues périodes de fermeture de cette année et demie écoulée s’est ajouté le désagréable sentiment de n’être traité que comme une activité de second ordre, résumé dans cette cruelle appellation de «
Le constat est fait depuis de nombreuses années d’une société française en fragmentation croissante, un archipel dont les ilots s’éloignent irrémédiablement les uns des autres. Les divisions et les ségrégations sont multiples : socio-économiques, géographiques, éducatives, culturelles, générationnelles. En découle une dégradation de la vie publique dont l’abstention, la défiance virant parfois au complotisme et le retour d’une certaine violence politique, sont les symptômes les plus visibles. Les solutions proposées, utiles pour la plupart, sont bien souvent les mêmes, et se concentrent sur la réduction des inégalités et la diffusion, par le haut, d’un discours visant à fabriquer de l’unité nationale. Mais celle-ci ne se décrète pas.
A cet égard, le rôle « cicatrisant » joué par la culture est trop souvent négligé. La culture représente un langage universel, qui transcende les particularismes individuels issus des origines, des croyances, comme du milieu social, par la diffusion de valeurs, de récits et de références communes qui permettent le vivre-ensemble. Il faut donc s’inquiéter du fossé qui se creuse entre les pratiques culturelles de « l’élite » et la culture populaire. En la matière, la diversité est essentielle, mais devrait refléter la pluralité des goûts individuels plutôt qu’une socialisation non choisie et un défaut d’accessibilité.
La perte de ce langage commun conduit à l’anomie sociale et, de manière concrète, à la multiplication des comportements inciviques que nous déplorons au quotidien. L’incivisme et les incivilités, qu’elles soient injures, dégradations ou petits arrangements avec la règle, ces « ruptures de l’ordre dans la vie de tous les jours » comme les nomme le sociologue Sébastian Roché, sont plus que de simples comportements irrespectueux. Elles témoignent d’un tissu social fragilisé et d’un mal-être dans la société. Lorsque l’on ne s’identifie plus à son milieu, lorsque les autres nous sont étrangers, on perd alors le respect nécessaire à la vie commune. La culture, dans sa dimension collective, est une des clés qui peut permettre d’atténuer ce sentiment d’aliénation.
Il faut d’ailleurs noter que, si certains secteurs de la culture ont particulièrement souffert de la crise sanitaire, le spectacle vivant en particulier, d’autres ne se sont jamais aussi bien portés. Confinés à leurs domiciles, les Français se sont rués sur les livres qui prenaient la poussière sur leurs étagères et sur leurs abonnements de vidéo à la demande. Or, ces pratiques culturelles individuelles, qui peuvent être partagées, ne permettent pas d’aller au contact comme le font un spectacle, la fréquentation d’une salle de cinéma ou, de manière encore plus évidente, l’appartenance à une chorale ou à une troupe de théâtre. Comme le sport, la culture permet de se confronter aux autres et de faire l’apprentissage de la vie en société.
Cet apprentissage est celui des codes sociaux, des savoir-être, de la relation à l’autre, mais c’est aussi celui de la connaissance. La culture n’est pas là que pour divertir, elle instruit. Elle donne à voir des expériences de vie, des modèles, elle raconte des histoires intemporelles qui donnent matière à réfléchir. Elle stimule la réflexion et par, le biais de l’émotion, lui donne aussi un plus grand impact. Les grands classiques de la littérature ne nous permettent pas seulement de nous évader, ils nous font grandir. Comme le dit la philosophe Martha Nussbaum, « la littérature permet de développer la capacité à voir le monde du point de vue des autres » et de « nourrir les capacités imaginatives et émotionnelles ». Ce n’est pas que par le biais d’idées abstraites que la citoyenneté se forme, mais aussi par l’éveil de « l’imagination narrative ».
Souhaitons donc que les épreuves récemment traversées nous fassent prendre conscience de l’importance de la culture, de sa contribution unique à la vie sociale et à l’expérience de notre humanité commune. Que celle-ci ne soit pas qu’une variable d’ajustement des politiques publiques, mais qu’elle fasse l’objet d’un investissement et d’un souci de tous les instants.
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