S’il est un constat qui fait consensus parmi les responsables politiques, c’est celui du malaise démocratique qui frappe le pays. Le taux d’abstention abyssal aux dernières élections locales (un peu plus de 65%) a fait figure d’électrochoc. Les citoyens désertent les urnes, ils rejettent aussi massivement ceux qui sont censés en tirer leur légitimité.
Les enseignements issus du « Baromètre de la confiance politique », vague d’enquêtes réalisées annuellement depuis une dizaine d’années, sont édifiants. Entre 2009 et 2019, 79% des Français interrogés déclarent éprouver des sentiments négatifs vis-à-vis de la politique. Celle-ci leur inspire d’abord de la méfiance (39%) et du dégoût (28%), loin devant un quelconque intérêt (12%). Ils sont 85% à penser que les responsables politiques ne se préoccupent pas d’eux et 74% à considérer que ceux-ci sont plutôt corrompus. Nul besoin de multiplier les chiffres pour mesurer l’ampleur du problème. Sans confiance ni participation citoyenne, c’est l’essence même de la démocratie qui est remise en cause.
Faire retrouver le chemin des urnes aux français s’impose comme le défi le plus urgent. Certes, la participation aux scrutins nationaux reste bien meilleure que celle aux scrutins locaux, mais elle reste néanmoins globalement et fortement en baisse depuis quatre décennies. L’Assemblée nationale ne s’y est pas trompée, elle dont la Conférence des Présidents a décidé, dans la foulée des élections du mois de juin, de créer une mission d’information « visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale ». L’abstention connaît des causes structurelles qui ne pourront être traitées en martelant simplement, même à juste titre, que voter est un droit et aussi un devoir, et en mobilisant la mémoire de ceux qui se sont battus pour l’obtenir.
Si l’on met de côté les abstentionnistes militants, deux grandes raisons peuvent a priori expliquer pourquoi tant de personnes sont amenées à se détourner des urnes : l’offre politique ne leur convient pas ou celles-ci ont le sentiment que voter n’a pas d’utilité. S’agissant de la France, le premier cas de figure ne semble pas le plus probable. Malgré un système politique qui devrait inciter au bipartisianisme, l’offre politique reste pléthorique en France, sur toute l’étendue du nuancier droite-gauche. Tout juste pourrait-on pointer la responsabilité d’un système électoral qui écrase les plus petites formations. Si voter n’a plus d’utilité, c’est que la confiance dans le personnel politique, dans sa capacité à agir, s’est effondrée. Redonner de la crédibilité à la parole publique, faire preuve d’exemplarité et, surtout, mener à bien les réformes dont le pays a besoin seraient les meilleures garanties d’une participation retrouvée. Cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain.
Peut-être faut-il simplement se résigner à une abstention plus massive qu’auparavant ? Phénomène installé sur le long-terme, reflet des évolutions de la société, de son atomisation et de son individualisation. Reflet aussi d’une envie de participation qui ne se résume pas au rituel collectif de l’élection. C’est vers d’autres mécanismes qu’il faudrait alors se tourner. Redynamiser la vie citoyenne est l’impératif auxquels tous les gouvernants se heurtent depuis de nombreuses années, tant au plan local que national. La Convention citoyenne pour le climat fut une réussite logistique et un exercice fortement apprécié de ses participants, mais elle témoigne de la difficulté de retranscrire la parole citoyenne exprimée « sans filtre » dans un programme législatif. Comment incorporer les décisions d’un panel non-élu, même représentatif, dans la ligne politique d’une majorité et de son gouvernement ? C’est, plus largement, sur le fait majoritaire qu’il faut nous interroger, et sur la possibilité de redonner une voix à des pans entiers de la population qui ne se sentent plus représentés.
De ce point de vue, l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne, quel que soit sa forme, ne répondrait que partiellement à la question. Un tel outil aurait certes le mérite de pouvoir mettre à l’agenda des sujets dont la classe politique ne veut pas se saisir, mais l’on découvrirait très rapidement qu’il peut être capté et manipulé par des groupes d’intérêts organisés et minoritaires dont le souci n’est pas de faire émerger des réformes bénéficiant d’un large soutien dans le pays. Le régime représentatif rend les changements plus longs à advenir mais il les rend aussi plus résistants au passage du temps.
La citoyenneté ne se résume pas au vote. L’engagement associatif, l’activisme sont autant de formes de mobilisation par lesquelles le changement peut aussi advenir et qui ne doivent pas être opposées au jeu électoral. C’est d’une action globale qui redonne l’envie de s’intéresser à l’autre dont nous avons besoin, de refaire société et de refaire communauté.