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Publié le 16 février 2022

Gestion du risque, enjeu majeur de notre siècle

OPINION. Les deux ans que nous venons de vivre nous ont placés au cœur d’un des risques majeurs. Nous avons également pris conscience de nouveaux risques que nous peinons à anticiper. Or la notion de risque est un objet éminemment politique dont la régulation ne peut être déléguée aux seuls experts. (*) Par Jean-Michel Arnaud, Président du Palais des Festivals et des Congrès & élu délégué à la Culture à Cannes..

Dans son ouvrage fondateur La société du risque, le sociologue allemand Ulrich Beck fait du risque l’élément central de notre modernité. Au gré des avancées technologiques, nos sociétés se caractérisent par la prolifération de risques majeurs, incommensurables, dont la gestion occupe une part grandissante de l’activité gouvernementale. Ces risques contemporains ne proviennent plus seulement de l’extérieur, de la nature, comme par le passé, mais sont engendrés par la société elle-même. Ils sont difficiles à appréhender car ils renvoient aux peurs et aux angoisses de chacun.

Les deux ans que nous venons de vivre nous ont placés au cœur d’un de ces risques majeurs. Nous savons aujourd’hui que d’autres crises suivront. Certes, les avancées réglementaires, techniques et scientifiques gagnées au fil des années ont réduit, du moins sous nos latitudes, la mortalité imputable aux catastrophes, mais ce sont ces mêmes avancées qui nous exposent aujourd’hui à de nouveaux risques que l’on peine à anticiper et à maîtriser.

Le risque climatique

Le plus évident est le risque climatique, auquel l’humanité reste encore mal préparée. L’urgence n’est pas seulement de changer de trajectoire pour éviter une hausse des températures incontrôlée mais de nous adapter aux épisodes météorologiques extrêmes qui s’annoncent et qu’il est déjà trop tard pour empêcher. Le climat nous force à dépasser la dichotomie entre le naturel et l’artificiel : c’est par notre action qui modifie en profondeur les processus naturels que de nouvelles catastrophes voient le jour. Le grand désordre mondial multiplie aussi les risques politiques tels que le terrorisme ou la cybercriminalité, contre lesquels il est tentant de vouloir mettre l’Etat de droit et les libertés fondamentales sous cloche.

Pour l’Etat et les collectivités, le plus souvent en première ligne lors de sinistres, c’est une véritable culture du risque qu’il faut développer. Plutôt qu’un état d’urgence et d’inquiétude permanent, une véritable faculté d’anticipation qui permette d’agir fort lorsque c’est nécessaire, et une organisation qui fasse travailler en bonne intelligence tous les acteurs concernés. Très vite va s’imposer aussi la question de l’assurabilité de certains risques et du financement de leur gestion, pour lesquels il sera sans doute nécessaire de développer des solutions publiques/privées.

Complexité croissante

Au cœur du risque se situe la précaution, un principe devenu central alors que la complexité croissante des risques auxquels nous sommes confrontés et le progrès technologique toujours plus rapide renforcent l’incertitude scientifique et rendent plus difficile l’élaboration des politiques publiques. Toujours aussi contesté, le principe de précaution peut faire courir le risque d’une innovation bridée et d’une croyance en une société du « risque zéro », chimère pas plus atteignable que souhaitable. Faire preuve de précaution est néanmoins bienvenu lorsque le risque encouru est potentiellement grand et que l’activité qui le provoque n’apporte que des bénéfices limités. Nous devons cette prudence aux générations futures qui auront à faire face aux conséquences de nos agissements actuels.

Objet scientifique devant faire l’objet d’une évaluation la plus objective et rigoureuse possible, le risque est aussi soumis au regard de nos passions subjectives. La perception d’un risque, individuelle ou collective, est parfois bien éloignée de sa réalité, comme l’ont montré de nombreux travaux en psychologie cognitive et en sciences comportementales. Le risque climatique, tant du point de vue de son coût en vies humaines que de son coût financier, apparaît bien plus menaçant pour nos sociétés que les risques liés au terrorisme et à la sécurité publique. Ce sont néanmoins ces derniers qui saturent le débat public tant leurs manifestations intolérables marquent les esprits. La même chose pourrait être dite d’une comparaison entre le risque aérien et celui du transport routier. Hiérarchiser les risques, ordonner correctement nos priorités, suppose donc d’effectuer un travail de déconstruction préalable.

Quelle communication adopter ?

Pour les pouvoirs publics se pose aussi finalement la question de la communication à adopter, eux qui sont régulièrement suspectés d’en faire « trop » ou « pas assez ». La complexité du sujet et l’incertitude scientifique souvent présente créent une brèche dans laquelle les complotistes de tous bords s’engouffrent, compliquant un peu plus la tâche des autorités. Faire preuve de transparence et de pédagogie est primordial pour associer au mieux la population aux mesures prises, elle qui, on l’a vu pendant la crise Covid, peut faire preuve de réticence lorsqu’elle a l’impression que le gouvernement navigue à vue.

Le risque est un objet éminemment politique dont la régulation ne peut être déléguée entièrement aux experts. La gestion des risques s’impose, pour tous les Etats à travers la planète, comme un des grands enjeux de ce siècle. De son résultat dépendra en grande partie la qualité du futur de l’humanité.

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