Face à l’urgence écologique, un changement de paradigme s’impose dans notre relation aux déchets. Comme le proclame le mouvement « Zero waste », le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas. L’enjeu n’est plus seulement de recycler ou de limiter l’impact sur l’environnement de ce que nous rejetons, mais de changer en profondeur nos modes de consommation.
La production de déchets a explosé, en France et dans le monde. Chaque Français en produit 573 kilos chaque année, le double d’il y a 40 ans, et l’on dénombre désormais sur notre territoire plus de 200 décharges à ciel ouvert, sans compter les dépôts sauvages, et une centaine d’incinérateurs. Les raisons d’une telle évolution sont nombreuses. L’accroissement des richesses et des flux économiques génère mécaniquement un volume plus nombreux de déchets, mais ce sont aussi les habitudes des consommateurs qui ont profondément changé. On achète au supermarché des produits suremballés, on s’alimente d’avantage à l’extérieur ou au moyen de plats déjà préparés. L’offre de produits à usage unique s’étend et, à l’ère de la « fast fashion », on ne raccommode plus un vêtement usé ou abîmé.
Cette envolée de la production de déchets pose un défi environnemental majeur. Elle est la conséquence immédiate de notre surconsommation et de l’usage intensif des ressources de la planète. Le jour du dépassement, date à laquelle nous avons consommé l’ensemble des ressources produites par la Terre en un an, avance inexorablement. Tout cela est bien évidemment en lien étroit avec l’émission de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique. Mais les déchets polluent aussi les sols, l’eau et l’air, et mettent en danger les écosystèmes. Ils sont un poison pour les animaux et les êtres humains. Il n’est plus rare de trouver dans les entrailles des oiseaux ou des poissons des résidus de plastique qui ont conduit à leur asphyxie.
Pour enrayer cette course effrénée, recycler ne suffira pas. Le recyclage est important pour les matériaux qui s’y prêtent le mieux, comme le verre, mais de très nombreux déchets ne peuvent malheureusement pas être traités. Il n’est de toute façon pas infini, car le matériau recyclé se dégrade à chaque étape et doit donc in fine être remplacé. Le recyclage permet de freiner le processus mais il entretient malgré lui l’idée fausse que l’on pourrait continuer à produire et à détruire toujours plus. L’unique solution est de revoir en profondeur nos habitudes de consommation.
Il faut d’abord supprimer tout ce qui est superflu. Les produits à usage unique et les emballages inutiles doivent être éliminés. La marge de manœuvre est immense pour développer l’achat en vrac de produits alimentaires et cesser d’utiliser des objets jetables. L’Union européenne a fait un geste fort en interdisant d’ici à 2021 certains produits emblématiques tels que les pailles, assiettes et gobelets en plastique. Notre relation aux objets doit aussi évoluer, vers plus de partage pour ce qui n’est pas nécessaire à notre vie quotidienne, et vers un usage plus long pour ce qui l’est. Il faut lutter implacablement contre l’obsolescence programmée, promouvoir la réutilisation et la réparation. Pour les déchets inévitables, il faut aussi favoriser l’utilisation de matériaux biodégradables ou facilement recyclables.
Dans le collimateur des activistes et des autorités : le plastique, troisième matière la plus produite au monde, après l’acier et le ciment. En 65 ans, ce sont 8,3 milliards de tonnes de matières plastiques qui ont été générées, matières non biodégradables et difficilement recyclables, contrairement à une idée reçue. Peu de plastiques peuvent être traités et leur réemploi n’est pas possible lorsqu’ils ont été en contact avec un produit potentiellement nocif. Le plastique est en lui-même dangereux lorsqu’il se décompose, car il relâche des microparticules et des additifs toxiques pour les organismes. La réduction de notre dépendance au plastique est donc une urgence.
Faire changer les habitudes des consommateurs et des industries ne suffira pas. Les gouvernements et la loi doivent agir de manière forte pour faire interdire les pratiques les plus dommageables (comme le Black Friday ?) et favoriser les innovations et les initiatives qui permettent de réduire la production de déchets. Mais si révolution il doit y avoir, elle devra prendre ses racines dans les comportements individuels. Avant chaque achat devrait se poser cette question fondamentale : en ai-je vraiment besoin ? Ce n’est pas l’Etat qui viendra réguler nos décisions de la sorte, il faut l’espérer ; il nous reviendra donc à tous de faire notre mue intérieure.